L’un des avantages de la vie lyonnaise, c’est qu’en réalité, on se trouve au cœur de l’Europe – quelque soit la direction que l’on choisit, on est tout de suite face à quelques morceaux épars de l’histoire de France.
L’autre jour, je me suis aventurée jusqu’à Ambérieu-en-Bugey et de là j’ai trouvé mon chemin dans la colline jusqu’au château médiéval : Les Allymes. Un lieu impressionnant à tous points de vue : tout en haut de la colline, il survole les grandes plaines de la Savoie. Il a été construit au XIVème siècle en tant que forteresse pour protéger le Dauphiné des assauts savoyards. En 1601, le château fut remis à la France lorsqu’Henri IV a rattachée la région de Bugey au royaume français. Il a subi de nombreuses transformations et est passé du statut de place forte à celui de château familial. Il a été classé aux Monuments Historiques en 1993 et est dorénavant géré par la ville d’Ambérieu et par l’Association des Amis du Château. Il sert de cadre pour une impressionnante liste d’événements, des conférences et des expositions d’art plastiques.

Amberieu On se retrouve face au château comme un enfant face à la figure parentale
Voilà la raison qui m’y a conduit, afin de voir une exposition très belle et trés originale de l’artiste, Alain Boulerot. C’est un artiste talentueux dont l’œuvre recouvre de nombreuses disciplines. Il fut d’abord reconnu en tant que peintre, puis a développé son approche très personnelle à la photographie. L’exposition au Château des Allymes est le fruit d’une visite en tant qu’enfant. « J’y avais été quand j’étais petit et cela m’avait impressionné à l’époque, par sa taille et son caractère. En le revoyant de nouveau il y a deux ans, j’y ai retrouvé exactement les mêmes sensations. On se retrouve face au château comme un enfant face à la figure parentale. » Pour Alain, enfant, le bâtiment solide, en pierre, semblait l’image même de la masculinité, inatteignable, sûr de lui. Par contre, l’intérieur semblait représenter la féminité, aves ses passages sombres, et ses recoins cachés. D’où le titre de l’exposition « L’Origine du Monde ».


Dans les entrailles du château…
En réalité, l’exposition est une visite guidée dans les entrailles du château, où chaque œuvre est liée très précisément à son emplacement. Par exemple, les photos de paysages dans un espace étroit, avec une toute petite fenêtre, nous interpellent quant aux soldats, chargés de veiller sur la forteresse, surveillant l’extérieur – à quoi pensaient-ils, qu’imaginaient-ils de l’extérieur ?
L’artiste explique aussi que les « âmes éphémères » : photographies d’empreintes éphémères de masque sur une planche à clous des années 70, sont les portraits imaginaires de ces hommes anonymes. Les œuvres varient en fonction des espaces dans lesquelles elles sont installées, ce qui renforce la notion de dialogue très personnel avec l’espace même. Il continue : « ma volonté a été d’investir ce lieu sans le trahir ni l’envahir, de placer des passerelles entre un passé que l’on pensait perdu et sa fonction d’origine ». Autrement dit, les bases mêmes de l’édifice, qui reflétaient la notion de protection, de sauvegarde et lié à un certain aspect spirituel : ce qui a conduit à une vie dévouée à la solitude, la foi et l’espérance.
A part sa fonction purement militaire, le château contient aussi des lieux de vie, soigneusement restaurés, comme la bibliothèque, aménagée avec des cartes, des livres et une cheminée monumentale. Chaque pièce a été investie par Alain Boulerot qui a conçu pour chacune d’entre elle des objets appropriées, tel que le cercle par terre dans l’une des tours, surmonté de petites photos disposées en cercle également. Autrement dit, cette exposition mérite bien le détour, grâce à la magie du lieu, et des nombreuses « lectures » que nous en propose l’artiste, par son approche très personnelle, très singulière.
Mac Lyon De retour dans la grande ville (Lyon*), le MAC (Musée d’Art Contemporain) propose une exposition très vaste, avec trois thèmes principaux : un historique du musée actuel et de ses collections, intitulé « Pour Mémoire » ainsi que deux expositions individuelles, l’une de Philippe Droguet, l’autre de Daniel Firman. La partie historique se fonde sur cinq dates fondatrices de la création du musée d’art contemporain, à partir de 1984, une exposition en 1988 qui ouvrit la voie à la première Biennale de Lyon en 1991, l’installation du musée actuel dans les locaux rénovés par Renzo Piano en 1995, et la dernière biennale de 2011.
Comme toujours dans ce musée, chaque artiste a droit à son espace individuel, ce qui permet la présentation d’une ou plusieurs œuvres. Parmi celles-ci, une œuvre monumentale de Anish Kapoor « Mother as a void » de 1988. Cette énorme forme ovoïde, d’un bleu presque noir, une coquille vide, fait penser à la fois à l’utérus de la femme avant de donner naissance, et au vide qui demeure après avoir éjecté le fétus. L’artiste lui-même explique « sa robe bleue l’identifie comme une mère cosmique, une initiation. Je vois le vide comme un espace potentiel, plutôt qu’un non-espace. » Les visiteurs s’en approchent presque à contrecœur, comme s’ils avaient peur d’être happés dans ce vide infini.
Il y a une vidéo très étrange, par l’artiste belge Carsten Höller. Il était entomologiste au départ et pendant ses recherches sur les modes de communication parmi les insectes, il a entendu parler d’une légende inhabituelle, à propos d’un gentilhomme qui a enseigné aux pinsons de son parc à chanter des chansons d’amour pour sa bien-aimée. Les pinsons des générations suivantes ont continué à chanter ces mêmes chants. Intitulé « Lover finches » , c’est tout à fait inattendu dans ce lieu privilégié.
Une autre vidéo fascinante est due à l’artiste Sud-Africaine Tracey Rose, « Happy Hope » , dans laquelle l’artiste se montre au pied du mur entre la Palestine et Israël, où elle chante une chanson d’espoir : elle est vêtue de façon provocante dans des dessous roses, clinquants, avec des bas résille, et son corps est badigeonné de peinture rose fluorescente.
FirmanA coté des moments « historiques » se trouvent les expositions individuelles. Daniel Firman a intitulé la sienne « La Matière grise » - ce sont des installations, parmi elles des objets quotidiens détournés, d’autres sont plus inquiétantes. Il y a une jeune femme, son visage encastré dans le mur, un éléphant qui est accroché dans l’air, par sa trompe, une sculpture telle que « Le Feu », un tas de buches, fabriquées en bronze, au centre duquel un feu s’échappe d’un bec de gaz. L’autre expo individuelle est celle de Philippe Droguet, intitulée « Blow up », en hommage à Antonioni. Les œuvres combinent la séduction/répulsion – rien n’est ce qu’il semble à première vue. Vu de loin « Fléau » ressemble à un gentil petit animal en peluche, qui s’avère être fabriqué à partir de coquilles d’escargots recouvertes de pointes acérées. « Tombés », à première vue seraient des pans de toile qui flottent mais ils ont été imbibé de paraffine, et manipulées de telle sorte qu’ils ressemblent à des fragments de marbre, ou d’albâtre. Et ainsi de suite – l’exposition nous oblige véritablement à tout remettre en question. Rien n’est ce qu’il semble au premier abord.
En somme, une réminiscence très fascinante des activités du musée pendant les vingt-cinq dernières années.

 

* note de l'éditeur.